Les études supérieures sont une période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Elles génèrent une autonomisation progressive de l’individu et lui permettent d’évoluer depuis un statut d’apprenant à celui d’un professionnel reconnu par la société. Cette reconnaissance s’acquiert d’une manière idiosyncrasique où le vécu expérientiel permet d’ajuster une représentation de soi qui s’élabore à partir des représentations sociales (Bourdieu & Passeron, 1954) et de leur intégration au niveau individuel (Zavalloni & Louis-Guérin, 1984; Zavalloni, 2005). Chacun a vocation de devenir capable et d’être reconnu par ses pairs (Ricoeur, 2005), ce projet existentiel et vocationnel s’exprime chez les étudiants par une voie d’orientation spécifique (Morder, 2002). Un projet d’étude n’est pas toujours exclusivement professionnel mais pour autant il n’est pas possible d’écarter la question de l’insertion dans l’emploi des préoccupations d’une personne (Galland & Clémençon, 1995). Ce projet d’étude est sous-tendu par un sentiment de capacité (Costalat-Founeau, 2008) impliquant une croyance de pouvoir le mener à bien (Bandura, 2007). Ce système capacitaire (Costalat-Founeau, 2013) est activé par l’action et les émotions. La littérature sur le projet montre aujourd’hui que celui-ci n’est pas toujours stable et figé (Boutinet, 2018; Costalat-Founeau, 2013) et ceci s’observe spécifiquement chez les étudiants (de Kerchove & Lambert, 2001). Il est sujet a des variations émotionnelles (Chau & Savaria, 2014) et temporelles ce qui implique parfois des réajustements (Dubar, 2002 ; Mary & Costalat-Founeau, 2018). Ces facteurs ont vocation à s’accentuer dans le monde actuel où les carrières sont de plus en plus protéennes (Hall, 1976) et où des emplois disparaissent impliquant du chômage à l’origine de souffrance dans la construction identitaire de ceux qui le vivent (Gosset, 2017). L’anticipation de l’avenir peut ainsi devenir de plus en plus incertaine. Des états de diffusion représentationnelle impliquant des thymie négative et un sentiment de capacité réduit peut conduire l’individu à revoir ses projets. Inversement, des états d’acuité représentationnelle conduisent à l’émergence de projets et à un engagement dans l’action (Costalat-Founeau & Gosset, 2018). Nous présentons ici une étude longitudinale des processus identitaires et capacitaires à l’œuvre au sein d’une population étudiante.
Méthode
Participants
L’objectif de ce travail étant de recueillir des informations sur des processus identitaires qui se réalisent chez une population d’étudiants jeunes adultes, nous nous intéresserons ici aux étudiants en formation initiale qui n’ont pas ou peu interrompu leurs études depuis l’obtention du baccalauréat. Ceci n’est pas sans négliger le fait que d’autres situations d’étudiants peuvent également constituer une population d’un grand intérêt pour cette problématique. Nous pensons notamment aux personnes qui choisissent de reprendre les études après ou au cours d’un passage par la vie active ou encore à des personnes qui se lancent dans un projet d’étude à la retraite. Ces cas d’études seraient aussi matière à découvrir des processus identitaires et capacitaires. Toutefois notre recherche concerne des étudiants récemment diplômés du baccalauréat, entre 18 et 20 ans, inscrits en licence de psychologie sans avoir effectué d’interruption d’étude. La catégorie socio-professionnelle et le mode de financement des études n’était pas un critère d’inclusion à l’étude.
Instrument
Nous utilisons ici la méthode IMIS (Investigateur Multi-stade de l’Identité Sociale) directement issu de la théorie de l’ego-écologie (Op. Cit.). Il se présente sous la forme d’un questionnaire. Cet outil dans son aspect papier se présente comme un livret contenant des groupes d’appartenances (âge, sexe, activité professionnelle, nationalité, groupe divers) qui sont des groupes stimuli qui permettent en terme de mots ou courtes phrases de recueillir des représentations qui correspondent à un répertoire sémantique de la personne. Ce sont les données du premier degré. Ces données seront ensuite exploitées dans une deuxième phase grâce à des entretiens semi-directifs qui permettront de repérer à la fois le contexte et le sens des mots ainsi que des prototypes identitaires qui sont des référents de la construction du soi. Enfin la troisième phase permettra de révéler les mots identitaires ou mots-force ancrés émotionnellement dans l’histoire de la personne qui active tout un réseau d’images de soi et du monde. Ainsi chaque participant répond à l'aide de mots ou groupe de mots de son choix pour décrire ces différents groupes. Conformément au principe de réversibilité défini par la théorie de l'égo-écologie, chacune de ces descriptions se fait en termes de nous et en termes de eux. Par exemple pour le groupe des étudiants, chaque participant répond en termes de « nous les étudiants nous sommes » et en termes de « eux les étudiants ils sont ». La seconde partie du protocole (deuxième phase), intitulée recodage des groupes, consiste à revenir sur chaque mot ou groupe de mots cité en première partie afin de leur attribuer une valence affective positive ou négative, une applicabilité ou non au soi, un degré d'applicabilité ainsi qu'une quantification sur l'importance de cet aspect dans les valeurs du répondant. La dernière étape de l'analyse consiste à pour de but de tisser le circuit identitaire ou circuit affectif-représentationnel du participant et permettre d'accéder aux mots identitaires. Ces mots, très chargés émotionnellement sont au centre du système de représentation de soi du répondant.
Procédure
Cette étude a consisté à suivre des étudiants de psychologie de manière longitudinale depuis l’entrée en cursus de psychologie en première année jusqu’à la fin de la deuxième année afin d’observer des changements dans leur dynamique identitaire. Il a donc été planifié d’utiliser la méthode IMIS à ces deux moment-clés du parcours universitaire : dès leur entrée à l’université ainsi qu’environ deux ans plus tard, en fin de second semestre mais tout de même en dehors des périodes d’examen. Le protocole de l’IMIS a ainsi été appliqué sur chaque participant deux fois, et de façon identique. L’étude a été proposé aux étudiants de l’université Paul-Valéry par des chargés de cours extérieurs à l’étude. Aucun avantage ou contrepartie de quelconque nature n’a été proposé. Ce premier recueil de données a nécessité pour chaque participant entre deux et trois rendez-vous d’une durée variable entre quarante-cinq minute et une heure et demi. Le premier étant destiné à la passation du recueil des représentations sur support papier puis les suivants à l’exploration de ces représentations durant des entretiens selon la méthode d’introspection focalisée. Tous les volontaires, dix personnes, ont passé entièrement ces différentes phases de l’IMIS. L’année suivante, ils ont été recontactés par téléphone ou par mail afin de participer à la suite de l’étude. Trois d’entre-eux ont répondu positivement à notre demande de renouveler leur participation. Nous avons procédé à un recueil de données similaire au précédent. Nous présentons ici le cas de Marc qui a répondu à cette démarche longitudinale.
Résultats : Analyse du cas de Marc
Sur le contexte scolaire, Marc nous explique avoir fait un Bac économique et social parce qu’il s’agissait du « plus neutre et le plus simple » selon ses « facilités » mais qu’il voulait plutôt faire un Bac scientifique, le niveau en math de ce dernier l’ayant « stoppé ».
Au niveau familial, il a un grand frère, qui n’a pas fait d’études comme lui et qui a choisi de rapidement travailler dans l’artisanat. Ses parents sont séparés depuis qu’il est collégien et depuis il n’a quasiment plus aucun contact avec son père. Il est originaire du sud de la France.
L’orientation en psychologie est son premier choix après l’obtention du baccalauréat. Il explique ce choix par le fait de vouloir comprendre les comportements humains qu’il ne comprenait pas dans certaines situations. Il trouve qu’il a toujours tendance à essayer de comprendre pourquoi les gens réagissent « de telle ou telle manière » quand ils ne réagissent pas comme lui aurait réagi. Marc apporte d'autres explications sur son choix d'orientation par le fait qu'il « ne savait pas trop quoi faire », qu'il avait aimé la sociologie et qu'il avait « pas mal touché le domaine de la folie » par le fait que certains de ses proches ont développé des troubles psychologiques.
En ce qui concerne les activités sportives il a pratiqué des sports de combat, et ceci depuis l’école primaire jusqu’au collège. Actuellement Marc court et va à la piscine « de temps en temps ».
En termes d’activités professionnelles, notre participant cumule deux emplois en parallèle de ses études. Il travaille dans un lieu sportif ainsi que dans un commerce proche de chez lui. Le volume horaire de ces emplois étant réduit, il n’a pas souhaité les inclure comme une facette de lui-même au cours du protocole de l’IMIS.
Il n’a pas eu souvent l’occasion de voyager puisque sa famille n’en avait pas beaucoup les moyens mais allait en Espagne « quasiment tous les étés » pour y voir sa famille.
Au cours des entretiens, Marc semble gêné par les silences. Il rit et plaisante beaucoup pour illustrer ses propos. Nous remarquerons plus tard qu’il se sera beaucoup plus exprimé pendant la phase de recueil de données en deuxième année que lors de sa première année en psychologie.
Mot identitaires de Marc en première année
Un premier mot identitaire de Marc est celui de « responsable » et ses réseaux de sens le relient au fait d'être majeur ainsi qu'à une idée d'autonomie. Il perçoit les femmes comme étant plus « responsable » que les hommes bien qu'il s'attribue à lui-aussi cette caractéristique. Le revers de la médaille de cet aspect est décrit par l'adjectif « inquiètes » qui est émaillé de souvenirs biographiques. Une unité représentationnelle est apparue pendant l'entretien bien qu'elle n'était pas inscrite par notre participant dans le protocole de l'IMIS, il s'agit de « se débrouiller » qui a été cité plusieurs fois dans les associations d'idées autour du terme « responsable ». Le thème de la responsabilité activé par ce mot identitaire est aussi décrit comme « changer de délire » et marque le changement de comportements et de mode de vie spécifique à l'entrée dans la vie étudiante. Les représentations liées à la transition entre un mode de vie adolescent et celui de la vie adulte s'expriment à travers ce mot identitaire. Le réseau associatif d'idées qui gravitent autour de ce mot s'étend entre le thème de la responsabilité et celui de la capacité relationnelle dans lequel Marc décrit des capacités en lien avec le mot force « responsable ».
Second mot identitaire qui active la dynamique représentationnelle de notre participant, « ouvert » s'articule comme étant en conjonction avec le thème de l'ouverture d'esprit et diamétralement opposé à celui de l’orgueil. Il est relié à l'unité représentationnelle « flexible » qui est définie comme étant synonyme. La signification de ce mot force est expliqué d'une part par une question d'adaptabilité. Il est attribué à la personne idéale, stimuli utilisé dans le but d'explorer les systèmes de valeurs des répondants et nous y relevons une explication de ce terme par la capacité relationnelle et une certaine curiosité intellectuelle. Il est détaillé dans l’altérité avec l'obstination incarnée par les unités représentationnelles « bornés et têtus » et Marc évoque un anti-prototype sur cet aspect en l'image d'une personne de sa famille. Dans sa dynamique représentationnelle du soi, il lui semble important de se différencier de cette contre-valeur que constitue l'unité représentationnelle « bornés et têtus ». Ce réseau de sens inclut également le thème des nouvelles technologies, aspect sur lequel les jeunes générations seraient plus « ouvertes ».
Mots identitaires de Marc en deuxième année
Un mot identitaire qui reste stable entre la première et la deuxième année d’étude de notre participant est « responsable ». Cette année, Marc se perçoit à la fois comme responsable mais aussi comme « peu responsable » et même « irresponsable » lorsqu'il détaille un de ses comportements à risque. Cette perception se fait dans la comparaison avec le groupe des femmes qu'il dépeint comme « plus responsables », aspect de ce mot qui était identique un an auparavant mais qui est cette fois relié à l'unité représentationnelle « minutieuses » et qui constitue désormais un thème à part entière et suscite un discours plus conséquent. Bien que Marc dépeint les hommes comme moins responsables, il stipule que les attentes envers les hommes de la part de la société sont plus élevées en termes de responsabilité. Nous retrouvons aussi une association d’idée qui apporte une caractéristique positive au groupe des hommes que les femmes n’auraient pas en tant que « volontaire » dont le sens est littéralement équivalent à celui de l'unité représentationnelle « travailleur » que nous avions observé chez Marc en première année. Autre dimension de l’altérité concernant les associations d'idées générées par ce mot identitaire, « efficace » est détaillée dans une comparaison favorable à l’égard des hommes qui seraient « efficaces » tandis que les femmes seraient « peu efficaces » et cette notion évoque un souvenir biographique récent chez lui. Tout ce réseau de sens est celui qui prime le plus lorsque nous lui demandons ce que signifie pour lui être un homme. Notons que pour toutes ces comparaisons, à chaque fois l'homme et la femme se complètent mutuellement dans les représentations de Marc. Nous découvrons également le versant négatif de ce mot identitaire à travers le terme « irresponsable » attribué au groupe des jeunes ce qui n'était pas spécifié un an auparavant. Cet aspect explique désormais le thème déprécié du soi de la maladresse.
Autre constante dans la dynamique identitaire de Marc, le mot identitaire « ouvert » constitue le même réseau associatif d'idées autour duquel s'articule la dynamique représentationnelle. Il est principalement attribué au groupe des étudiants et son réseau s'est enrichi de nouvelles représentations comme celles liées au mot « fêtard » et de la notion de créativité qui est un élément impliqué dans la représentation de la personne idéale. Son réseau de sens s'étend jusqu'aux locutions « stratégique » du groupe des geeks et « efficace » du groupe des hommes. Il est toujours associé à « flexible » qui évoqué comme synonyme et qui est illustré par des expériences biographiques de conflit dans lequel ce dernier est porteur de capacité relationnelle. Il est aussi porteur de valeurs de tolérance, de respect d'autrui et de la diversité de chacun où Marc abordera les questions du racisme et de l'homophobie. Cet aspect axiologique se confirme dans la contextualisation de ce mot en tant que personne idéale. L'opposé de cet aspect est évoqué sous l'expression « choquable », « irritable » et le fait d'avoir des « blocages ». Ce mot force « ouvert » comporte une dimension relationnelle qui est en lien avec le thème de la capacité relationnelle. Son opposé littéral est incarné par l'unité représentationnelle « borné ».
Un nouveau mot identitaire est apparu, il s’agit du terme « cultivé » dont les ramifications du réseau de sens l'associent jusqu'au mot identitaire ouvert qui a probablement constitué une base dans l’émergence de ce réseau de représentation chez notre participant. Ce mot force trouve une part de sa signification dans le groupe des étudiants. Marc le définit à travers l'exemple des étudiants « passionnés » et « intéressés » qui seraient ceux qui vont « chercher plus loin » parce qu'ils sont « curieux ». Il associe aussi cet aspect à la réussite universitaire et inscrit ce mot dans une thématique de l'ambition. Cet aspect est antagoniste dans sa perception avec les « glandeurs », « ceux qui sont là un peu pour la bourse. » et « qui ne savent pas quoi faire ». Ce mot est également porteur de la valeur de courage. Il renvoie aux souvenirs biographiques liés aux sacrifices nécessaires à la réussite universitaire et à l’aspect contradictoire entre la vision que la société peut avoir des étudiants selon Marc et les comportements que lui ou ses collègues peuvent avoir lorsqu’ils s’investissent dans leurs études. Ce mot identitaire « cultivé » est aussi détaillé par le groupe d'appartenance des « geeks » dans lequel une « culture » bien spécifique est centrale. Il s'agit pour lui autant de la culture de ce groupe d'appartenance que du fait de s'intéresser à l'actualité et de chercher sans cesse à s'instruire. Bien qu'il s'inclut dans ce groupe de façon minorée en tant que « petit geek », cet aspect émergeant de son identité est constitutif d'une nouvelle source identitaire de représentation de soi.
Cette caractéristique de chacun s’inscrit sur un continuum selon lui parce que « tout le monde l’est au minimum ». Ce réseau de sens autour du terme « cultivé » se retrouve non seulement dans le groupe des étudiants, des « geeks » mais aussi en tant que personne idéale qui est une expression du système de valeurs.
Synthèse du cas de Marc
Marc a conscience que les représentations d’appartenance groupale issue de l’IMIS sont empruntes de stéréotypes et son discours s’articulera souvent autour du fait que ces représentations sont ou non représentatives de ses expériences biographiques personnelles.
L’identité de Marc est polarisée sur le groupe des étudiants, des hommes et des sudistes en première année. Ce sera toujours le cas en deuxième année. Nous constatons donc que l’identité de Marc s’appuie toujours sur les mêmes sources de référence identitaire toutefois le contenu de ces dernières est fortement altéré entre la première et la seconde année.
Notons déjà que le groupe des jeunes n’est pas forcément une source d’identification positive, mais Marc évoquera des éléments qui tendent à valoriser ce groupe aussi convient-il de le considérer comme ambivalent puisqu’il présente des aspects tant positifs que négatifs. L’identité « jeune » est dévalorisante socialement et implique le fait d'être « irresponsable », mot identitaire de notre participant, mais il détaille aussi une réalité où cette appartenance groupale est valorisante concernant les nouvelles technologies ou encore par le fait d'être plus « ouvert », également mot identitaire de notre participant. Ce groupe référent identitaire des jeunes est assimilé, comme pour Julie, une autre participante, à celui des étudiants au point qu'il y aura parfois confusion entre les deux. Nous retrouvons donc chez lui aussi une transparence entre l’identité étudiante et l’identité juvénile (Galland, 1993).
En première année nous avons observé le groupe des sudistes qui s’inscrivait comme une continuité du groupe des espagnols. Celui-ci disparaît en deuxième année chez Marc pour laisser place au groupe librement choisi des « geeks ». Ce groupe est évoqué comme étant étroitement lié au monde universitaire. Aussi ce groupe des geeks inclut une certaine partie du groupe des étudiants pour Marc. Notre participant présente une implication partielle à ce dernier groupe puisqu'il se considère « petit geek ». Par ailleurs cette identification minorée à ce groupe se retrouve dans le fait que Marc désigne la plupart des « geeks » dans son discours à travers la forme « eux » et « ils » plutôt qu'en tant que « nous » et « on » ce qui aurait dénoté une implication au groupe plus prononcée. Marc endosse des caractéristiques positives de ce groupe mais rejette certains aspects qu'il considère négatifs.
Un changement s’observe dans les représentations de Marc en ce qui concerne l’identité d’étudiant. En première année Marc opposera un discours valorisant des études par son entourage, en l’occurrence sa famille, avec une perception personnelle plutôt neutre de cette activité. Toutefois, en seconde année, Marc opposera une perception négative de la société envers les étudiants en tant que « fainéant », « qui foutent rien » à une perception personnelle de cette activité comme étant beaucoup plus positive, liée à l'ambition, à la culture et au fait de chercher sans cesse à s’instruire davantage. Son cas illustre donc assez bien l’hypothèse d’un sentiment de privilège généré par les études supérieures (Molinari, 1992) mais aussi celle des études qui seraient envisagées comme un vecteur de valorisation sociale (Galland & Clémençon, 1995).
Cette identité est donc perçue positivement au regard de son système de valeur même si elle est associée à une image sociale plus dévalorisante selon Marc. Concernant le système de valeur de Marc, soulignons que les contre-valeurs ont changé. L’orgueil s’est transformé en égoïsme et l’irritabilité a émergé.
En première année le groupe des hommes ne comporte que des unités représentationnelles dont la valence affective est positive. Les femmes seront davantage décrites par des adjectifs négatifs. En seconde année, nous observons un renversement sur ce rapport d’altérite. Ainsi les unités représentationnelles utilisées pour décrire les femmes qui étaient majoritairement négatives deviennent cette fois-ci plus positives et valorisantes. Cet aspect sera même une dimension valorisée chez alter du Non Soi positif. En seconde année les hommes sont finalement perçus comme moins responsables que les femmes mais ces derniers auraient une pression sociale plus importante en raison d’attentes qui seraient plus élevées de la part de la société envers les hommes qu’envers les femmes.
Des anti prototypes émergent de son discours. Une personne qu’il fréquentait au lycée est évoquée comme une incarnation même de l’unité représentationnelle « prétentieux ». Dans le même ordre d'idée, une personne de sa famille incarnera la « rigidité » en tant que strict opposé de son mot identitaire « ouvert ».
Les mots identitaires de Marc « responsable » et « ouvert » que nous avons observés en première année se retrouvent en seconde année. Cependant le terme cultivé, fortement en lien avec la représentation du groupe des étudiants est apparu seulement à partir de sa deuxième année d’études en psychologie. Son réseau de sens est d’une densité telle qu’il constitue désormais un mot identitaire.
Les changements opérés entre la première et la seconde année sont principalement dans le rapport avec alter. Dans le soi positif, le thème de l’ambition perdure entre la première et la seconde année. Toutefois il ne contient que trois unités représentationnelles en première année contre cinq en seconde année et ce thème viendra s’émailler du mot identitaire « cultivé » ainsi que d'un discours beaucoup plus ample sur cette question. Le thème de l'ouverture d'esprit, même s'il avait été cité en première année, suscitait un discours beaucoup moins abondant qu'en seconde année. La capacité relationnelle, l'humour et l'ouverture d'esprit constituent des thèmes qui restent stables entre la première et la seconde année. Nous pouvons noter qu'ils contiennent légèrement moins d'unités représentationnelles et de discours en seconde année que durant la première. Lors de sa première année nous observons le thème des nouvelles technologies et ses liens avec la socialisation. Il disparaîtra en deuxième année mais cet aspect de la socialisation par les nouveaux médias sera évoquée à travers le groupe des « geeks » sous l'aspect d'une socialisation à distance par le biais d'internet. Le thème de l'aspect physique disparaît totalement à l'issue de la première année ce qui n'est pas surprenant puisqu'il n'était chargé que de peu de signification et que Marc avait indiqué avoir précisé ses unités représentationnelles « pour remplir » et en tant que « un peu forcées ».
Dans le soi négatif les thèmes de la fainéantise de la maladresse et leurs discours respectifs restent identiques à quelques variations près concernant les unités représentationnelles qui y figurent.
Au sein du non soi positif nous voyons émerger des caractéristiques enviées chez autrui : la droiture et la précision. Le thème de la droiture est porteur de nouveaux éléments du système de valeur de Marc et celui de la précision un aspect désirable du groupe des femmes qui était déjà esquissé en première année à travers l’unité représentationnelle « minutieuse ».
Dans le non soi, le thème de l’orgueil évolue vers celui de l’égoïsme et celui de l’apparence est devenu irritabilité ce qui dénote ici aussi des changements importants dans le système de valeur de Marc.
En première année Marc exprimait des faiblesses sur le plan social et sa représentation de soi était fortement emprunte à des éléments issus de la structure familiale à travers le groupe d’appartenance des espagnols. En seconde année, cette représentation de soi prend appui davantage sur des éléments extérieurs au milieu intrafamilial.
Au sein du thème de la responsabilité, la question de l’autonomie avait été largement détaillée en première année par Marc, à commencer par le groupe de référence identitaire des étudiants mais aussi en tant que personne idéale au point d’ériger l’autonomie comme une valeur chez notre participant. Cet aspect aura quasiment disparu de son discours en deuxième année. Peut-être pouvons nous en déduire que Marc a développé cette caractéristique auto-perçue de l’autonomie. Tout du moins ce n’est plus une préoccupation chez lui.
Il s’est beaucoup plus exprimé pendant la deuxième phase de recueil de données. Peut-être était-il plus à l’aise avec le chercheur ou avec le protocole de l’IMIS. Une autre explication pourrait être qu’il avait davantage de choses à relater sur le monde universitaire et plus largement sur ses processus identitaires.
Un élément notable du cas de Marc est que différentes facettes de l’identité ne se contentent pas de s’imbriquer les unes dans les autres mais qu’il y a une réelle perméabilité entre l’appartenance à différents groupes : être membre du groupe des étudiants implique très souvent le fait d’être membre de celui des jeunes, être membre du groupe des geeks implique de manière fréquente le fait d’être étudiant. Il associe le fait d’être jeune à celui d’avoir des projets. Au sein des jeunes-étudiants, ces projets s’incarnent par le fait d’approfondir ses connaissances ce qui est illustré par le mot identitaire « cultivé » qui est aussi détaillé comme une disposition permanente d'exploration de nouvelles choses et qui rejoint ici le réseau de sens de l'ouverture d'esprit.
L’émergence en deuxième année de cette dimension primordiale de la culture peut être qualifiée de sens donné aux études. Ce sens qui est désormais attribué aux études en tant que curiosité intellectuelle suscite un questionnement. Notre participant peut-il trouver un sens et une motivation aux études un an après avoir commencé celles-ci ? Ce paradigme n’était-il pas plutôt présent préalablement à son inscription en cursus universitaire bien que nous n’ayons pas pu le saisir dans son discours ?
Des éléments recueillis en première année nous font penser que cet aspect était déjà en place lorsque Marc a commencé ses études en psychologie mais qu’il n’était pas plus explicatif que d’autres cognitions et croyances dans son souhait de poursuivre des études universitaires, des aspects tels que le besoin d’orientation professionnelle, la reconnaissance sociale, le fait de chercher à « faire quelque chose » ou encore « d’être là pour les bourses ».
Dans tous les cas, il n’a pas choisi de faire des études par hasard. Marc se définissait déjà comme « curieux » et c'est une caractéristique qu'il appliquait aux étudiants. C'est peut-être cet élément de sa représentation de soi en interaction avec d'autres comme le fait que certains de ses proches aient développé des troubles psychologiques qui aurait pu suggérer à Marc de suivre des études universitaires. Ce qui se tramait au fond de lui a pu se développer par l'assimilation du contenu des enseignements et au fil des mois de la vie d'étudiant universitaire, le temps d'ancrer des représentations dans sa perception et de les rendre réelles à ses yeux. Une fois confirmé par l'environnement, cette caractéristique du soi qui était autrefois mineure a pu s'exprimer en lui au point de devenir central dans sa perception : Marc se perçoit désormais comme quelqu'un de cultivé dont les ambitions sont portées sur la culture. Cette dernière est sans cesse approfondie par une permanente curiosité intellectuelle qu'il perçoit en commun avec les autres membres du groupe des étudiants.
À l'issue de la première année son projet s'est d'ailleurs clarifié. Nous observons une clarification du projet et du sens donné à l'action chez Marc en deuxième année. Aussi pouvons nous conclure que sa dynamique identitaire présente un état d'acuité représentationnelle qui n'était pas présent en première année alors qu'il avait peu de raisons d'expliquer sa présence à l'université et qu'il était davantage dans une posture passive d'attente de découverte du monde universitaire et de questionnement de son sens, en particulier du sens qu'il peut prendre pour lui. Il envisage déjà une spécialisation dans un master spécifique.
Discussion
De nombreux changements identitaires sont suscités par cette période de transition qui caractérise notre population, entre un statut de lycéen-accompagné et d’étudiant-autonome, entre un statut d’adolescent et de jeune adulte, entre un statut d’apprenant et un statut de futur-salarié. Cet aspect est déjà relativement saillant si l’on observe le changement des mots identitaires qui centralisent les dynamiques de la représentation de soi mais il l’est d’autant plus si l’on s’intéresse aux changements dans les thèmes abordés dans le discours. Nous détaillerons successivement ces résultats entre ce qui a attrait à la population étudiante, à la question du projet, ainsi que sur ce qui relève des apports théoriques.
Notons déjà que l’identité étudiante est assimilée, voir confondue, avec celle du groupe d’âge qui est verbalisé en tant que « jeune » ou « dix-huit vingt-cinq ». Ces données vont dans le sens de l'hypothèse d'une identité étudiante juvénile (Galland, Op. Cit.) indissociable d'une identité en termes de groupe d'âge et d'identité étudiante.
La question des conduites à risques est davantage abordée en seconde année qu’en première année. Parallèlement le discours des participants a lui aussi augmenté en seconde année. Il est donc possible d’attribuer cette expression des comportements contre-normatifs à un meilleur climat et à une confiance accrue en l’interviewer ou envers le protocole de l’IMIS. Sur cette problématique, la socialisation avec d’autres étudiants et l’éloignement avec le foyer familial y sera présenté comme un élément fragilisant.
La question du bien-être est relatée à travers une ambivalence entre le bien-être étudiant qui est décrit par la socialisation, les soirées festives, l’opportunité d’enrichissement culturel en opposition avec le mal-être généré par la précarité financière, la qualité de vie amoindrie par la faiblesse des sources de revenus ou encore l’absence de reconnaissance perçue de leur activité par la société.
La socialisation est ainsi détaillée selon deux modalités positives et négatives. D’un côté, elle est décrite comme un support et une source de bien-être perçu, un facteur d’aide à la réussite comme avec par exemple l’échange de cours entre étudiants ou les groupes de révision. D’un autre côté elle est relatée sous un aspect négatif par des conduites à risques et une voie pour s’éloigner progressivement des études : absentéisme et retards sont exprimés comme étant la conséquence des soirées étudiantes. À contrario, nous observons que la fête développe un sentiment de capacité relationnelle chez les étudiants. L’unité représentationnelle « fêtard » que l'on retrouve de façon quasi-systématique dans la représentation sociale du groupe des étudiants est une coquille vide. Le contenu idiosyncrasique de cette représentation est rempli au niveau individuel par des expériences biographiques individuelles mais aussi par un aspect capacitaire en termes de compétence relationnelle. Nous suggérons comme explication de ce résultat que la vie étudiante ouvre des horizons plus larges en termes de rencontres puisque les rencontres dans les groupes de travaux dirigés et en amphithéâtre offrent un panel plus large que des classes au lycée où les cercles de fréquentation sont probablement plus restreints à la famille, la classe et au cercle d'amis. Nous observons par ailleurs dans nos données que plus les étudiants sont dans le monde universitaire depuis une durée longue, moins l’occurrence de la question de la famille apparaît dans leurs discours.
Sur la question de l’activité salariée, tous les étudiants qui ont participé ont une double casquette étudiant-salarié à un moment ou l’autre du recueil de données ou ont à minima de multiples expériences professionnelles de petits emplois ancrés depuis déjà plusieurs années. Cette activité salariée est plus ou moins importante selon les cas. Bien que nous n’ayons pas souhaité la quantifier, elle ressort qualitativement dans le discours des participants et ses répercussions ne sont pas exclusivement négatives. Dans le cas de Marc qui cumule deux emplois à faible volume horaire en supplément des études, cette caractéristique n’est pas avancée comme un frein à la réussite universitaire ou à la qualité de vie. Chez une autre participante, Sophie nous avons pu constater que la question du non-emploi, ou plutôt du non-emploi permanent, est une source de souffrance, de faiblesse du soi perçu et d’un sentiment de manque d’utilité sociale que le statut d’étudiant à lui seul ne vient pas combler. Une autre de nos participantes, Julie, s’appuie sur ses expériences professionnelles pour y trouver un appui capacitaire qui l’aide à mieux appréhender le monde universitaire. L’aspect délétère de l’activité salariée parallèle aux études est expliqué par la difficulté à composer un emploi du temps qui intègre à la fois des cours, des heures de transports, de préparation et prise de repas, de révision et d’activités sportives et que la conséquence est bien souvent la privation de sommeil qui reste la dernière chose modulable pour s’ajuster au reste.
La notion plus globale de conduite de santé est abordée sous cet aspect de privation de sommeil mais aussi en termes de déséquilibres alimentaires liés aux moyens financiers et de comportements à risques qui recouvrent entre autre la consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants et dont nous avons discuté précédemment.
Le regard que la société porte sur les étudiants est aussi fortement relaté dans les entretiens. Nos participants expriment un manque de reconnaissance perçu à cet égard. Les étudiants y seraient dévalorisés en raison d’une faible utilité sociale. Au-delà du regard réellement porté par la société sur ce statut, cette perception soulève la question du manque de reconnaissance perçue et ses conséquences connues sur la motivation et l’estime de soi. Sophie, une participante va même jusqu’à rapprocher ce statut d’étudiant de celui de demandeur d’emploi sur les questions de l’argent et des incapacités perçues que nous retrouvons derrière les adjectifs « flemmards » et « fainéants » qu'elle utilise pour décrire à la fois les étudiants et les « chômeurs ». Dans son cas particulier, les études sont perçues principalement comme un moyen d'accès à l'emploi et la fonction de l'université est envisagée de la même façon que la formation professionnelle.
Ce dernier point relatif à la dévalorisation perçue de l’identité d’étudiant est aussi associé à la question du financement des études par les bourses d’études. Une redécoupage de la catégorisation intra-groupe opère chez certains participants. Certains étudiants effectueraient des études dans le seul but de vivre de ce revenu à défaut d’autres alternatives possibles. Cette représentation sociale propre au groupe des étudiants remplirait visiblement une double fonction. En cas de réussite elle permet d’accéder à une identité sociale positive par contraste avec le sous-groupe qui profiterait de l’aide sociale. A contrario, en cas d’échec elle permettrait de justifier celui-ci non par un manque de capacité du soi mais par une volonté de ne pas chercher à éviter d’échouer puisque dans tous les cas l’aide sociale est assurée. Ce redécoupage intra-groupe pourrait donc assurer une pérennité de l’identité positive dans toutes les issues possibles aux résultats des examens.
Le point précédent nous amène à considérer l’idée de l’anticipation de l’échec et ses liens avec le projet. Il est possible qu’en première année d’étude les étudiants ne souhaitent pas trop se projeter dans l’avenir et se définir par un certain profil personnel universitaire afin de ne pas subir la désillusion qui serait associée à un échec. Il est sans doute plus facile d’accepter pour un étudiant qu’il ne réussira pas dans un cursus quelconque s’il se dit que ce n’est pas forcément sa vocation ultime. A contrario, si ce cursus était le rêve d’une vie et s’il correspondait parfaitement avec la vision qu’il se fait de ses aspirations et de ses buts existentiels, l’échec y serait beaucoup plus amer et d’autant plus dur à accepter. Il y aurait peut-être une sorte de rationalisation pro-active, ou rationalisation anticipée, chez les étudiants de première année, qui débuterait « timidement » un cursus et qui attendrait les premières expériences de réussite pour se permettre de penser que ce cursus convient à qui ils sont vraiment et qui ils veulent être.
Autre aspect, il pourrait y avoir chez cette population une motivation éclectique diffuse. Plusieurs types de motivation aux études sont à considérer, mais il nous est difficile de croire que pour certains il s’agirait uniquement d’un moyen d’accès à l’aide sociale. Notre position est que la motivation aux études est multi-factorielle et que les facteurs de motivation intrinsèque (Decy & Ryan, 2000) tels que la curiosité intellectuelle ou le goût pour l’apprentissage ne sont jamais totalement isolés des facteurs extrinsèques comme les bourses d’études ou l’acquisition d’une identité professionnelle. Dans nos données nous retrouvons chacun de ces facteurs chez tous nos participants et même s’il arrive parfois que l’un soit plus prépondérant que d’autres, nous pensons que tous ces facteurs incitent à initier et poursuivre des études à l’université. La palette capacitaire peut ensuite se définir au fil du temps et entretenir un lien entre la dimension capacitaire et la dimension intentionnelle, soit entre ce que l’acteur se sent capable de faire et ce qu’il souhaite faire.
Un étudiant peut tout à fait envisager de poursuivre des études à la fois un peu pour l’aide sociale, un peu pour le diplôme, un peu pour l’épanouissement intellectuel, un peu pour la reconnaissance sociale et un peu pour l’acquisition d’un statut de professionnel. Cette considération en termes de bénéfices pourrait être reconsidérée au cours des années universitaires et expliquer les réorientations ou le décrochage. Dans la même veine, le cursus d’étude peut plaire de plus en plus ou à contrario de moins en moins en fonction de la concordance ou le décalage entre la représentation qu’ils se font d’un cursus et le contenu réel des enseignements. Lorsque cette pratique donne un sentiment d’enrichissement, elle permettrait de construire l’orientation et lui donner du sens.
Sur le décrochage universitaire, un cas de notre étude nous éclaire sur certains mécanismes et nous permet d’identifier certains facteurs fragilisants. Il y avait préalablement chez elle une appréhension de l’échec qui était beaucoup plus clairement verbalisée dans les entretiens que les autres participants. Elle nous faisait part de son souhait de pas trop s’investir dans les études ayant une croyance réduite en ses chances de réussite. Son discours sur les études était centré sur une fonction essentiellement professionnelle et cette non- réinscription à terme de sa seconde année d’étude fait suite à une opportunité d’emploi qui survient dans une phase identitaire où le système capacitaire (Costalat-Founeau et al., 2008, 2013, 2017, 2018) est au plus bas et où elle perçoit ses faiblesses du soi de façon plus intense et exacerbé par des affects négatifs. Elle mentionnait également une longueur des études particulièrement élevée dans l’enseignement supérieur. Nous pensons que celle-ci peut entraîner une absence de résultats perçu à court-terme comparé à des cursus d’études autres que l’enseignement supérieur qui sont plus rapidement qualifiants et permettent un accès plus prompt à l’emploi. Bien que des paliers sanctionnés par des diplômes de licence, master et doctorat existent, dans de nombreux cursus universitaires la professionnalisation survient à l’obtention du master, soit cinq ans de formation après le baccalauréat qui sont plus longs que d’autres diplômes qualifiants. Ce point est aussi un facteur fragilisant pour des étudiants qui sont pressés d’entrer dans la vie active et qui sont las de la précarité financière de leur statut d’étudiant.
Un autre paramètre qui peut influencer le projet réside dans la temporalité et l’impermanence du soi. Les projets qui sont faits à une étape de la vie façonnent l’individu par le vécu qu’ils entraînent. À terme, la représentation de soi peut avoir été tellement transformée par les expériences de vie et l’intégration de nouveaux groupes sociaux que les vieux projets peuvent ne plus correspondre aux besoins du soi tel qu’ils étaient présents des années auparavant. Inversement, la motivation pour un cursus d’étude pourrait se trouver enrichie au fil de celui-ci lorsque les expériences y seraient gratifiantes alors qu’elle n’aurait pu être que peu présente lors de son initiation. Cette réflexivité propre à l’identité pourrait ainsi affaiblir la consistance des projets ou inversement la renforcer. Les choix que nous faisons aujourd’hui peuvent à terme ne plus correspondre à la personne que nous serons demain ou dans plusieurs années. Ceci pourrait expliquer les variations, remaniements, déconstructions et reconstructions du projet. L’incertitude orientationnelle pourrait ainsi s’expliquer par des reconsidérations constantes des coûts et des bénéfices inhérents à un cursus d’étude, une anticipation de l’échec qui entraînerait un besoin de ne pas trop s’impliquer émotionnellement et identitairement, ainsi que par une dynamique fluctuante de la représentation de soi qui pourrait impliquer autant l’instabilité que le renforcement du projet. L’anticipation de l’échec est probablement d’autant plus flagrante dans des cursus comme la psychologie où la « barre » de la sélection se situe à la fin du parcours universitaire : entre le master un et le master deux.
À travers ces cas d'études nous observons aussi que certains des facteurs qui peuvent être à l'origine d'un choix de cursus en psychologie sont le vécu au cours du développement psycho-affectif de problèmes intra-familiaux avec des comportements violents, la volonté de comprendre les intentions et comportements d'autrui ou encore la découverte de la psychologie depuis un autre cursus qui suscite une révélation pour cette dernière.
Sur le plan théorique, d’après nos données, un mot identitaire ne semble pas se résumer à un aspect sonore et textuel, une expression figée, mais il est parfois aussi constitué de tous les dérivés possibles d’un mot à partir d’une même racine comme nous l’avons observé dans l’étude de cas de Julie (cadre-cadrer- encadrer, fêtard-fête-fêter) ainsi que pour Marc (responsables-irresponsables-responsabilité, ouvert- ouverture, cultivé-culture) et Sophie (passion-passionné-passionnant, flemmard-flemme). Le déroulement des entretiens suggère aussi qu’il y aurait une sorte d’inertie autour du mot identitaire, le participant reste en quelque sorte figé sur ce dernier lorsque nous l’activons. Le mot identitaire active un réseau de sens qui suscite une activité mentale dont le sujet a du mal à s’extraire malgré les relances sur d’autres questions et sur d’autres unités représentationnelles.
Les résultats que nous obtenons montrent également que si des prototypes incarnent des capacités et des valeurs, leurs équivalents négatifs se rencontrent également. Certains manques et certaines contre-valeurs sont parfois incarnés par une personne réelle, proche ou issue de la culture. Une participante, Sophie, utilise le personnage de télé-réalité Nabilla pour illustrer ce qui incarne pour elle l’opposé du féminisme et de ce qui par altérité la rend fière d’être une femme. De la même manière Marc évoque un membre de sa famille comme un personnage qui incarne la rigidité cognitive et relationnelle qu’il ne veut pas revêtir. Nous pourrions parler en quelque sorte de contre-prototype ou d’anti-prototype. Ce concept nous paraît être un corollaire logique à celui de prototype. Si des prototypes permettent une construction identitaire par un mécanisme d’assimilation, de similitude et de ressemblance souhaitée, alors des anti-prototypes pourraient tout aussi bien permettre une construction identitaire par un mécanisme de différenciation et d’individuation spécifique au sens de ce que le sujet ne souhaite pas être et devenir. Sur le système capacitaire (Costalat-Founeau et al., Op. Cit.), nos résultats montrent comment des capacités manquantes vont se développer au cours du cursus universitaire à partir d’autres aspects de l’identité et comment la motivation et le sens accordé aux études peut se cristalliser et se renforcer au fil du temps ou à contrario se réajuster différemment (Vonthron, Lagabrielle & Pouchard, 2007). Nous pensons par ailleurs que les phases de diffusion représentationnelle que peut traverser l’individu ne sont pas tout à fait négatives mais qu’elles ont pour but de réajuster la représentation de soi avec les conditions de vie présentes et les émotions de l’individu (Drouin, 2018). Ce processus réflexif pourrait ainsi être accompagné afin de donner de meilleures chances de réussite aux étudiants mais aussi à d’autres populations.